Interview – Jean-François Heisser, président et co-directeur artistique

Jean-François Heisser, président et co-directeur artistique du Festival Ravel, nous parle du projet, de son origine, de son avenir et de cette nouvelle édition que nous avons hâte de vivre avec vous !


| Comment le Festival Ravel a-t-il vu le jour ?
Jean-François Heisser : L’idée à l’origine de ce festival était de proposer une fusion singulière entre l’ambition d’un festival à vocation internationale et l’identité forte d’une académie de musique au large rayonnement. L’Académie Ravel – dont je suis président depuis 23 ans – avait déjà un passé assez prestigieux, se distinguant des autres académies notamment par l’attractivité de deux semaines de masterclasses drainant un public très investi dans le suivi des jeunes talents. Ces jeunes talents sont souvent revenus plusieurs années de suite, et beaucoup sont devenus de grands acteurs musicaux d’aujourd’hui (Bertrand Chamayou, Renaud Capuçon, Edgard Moreau, Stéphanie d’Oustrac, Jean-Frédéric Neuburger…).

« L’idée était aussi et surtout d’arriver à bâtir un évènement emblématique dans le Sud-Ouest, susceptible de prendre la relève dans le calendrier des grandes manifestations méditerranéennes qui se déroulent surtout en juin, juillet et août. »

La période fin août – début septembre, historiquement consacrée au Festival Musique en Côte Basque et à l’Académie Ravel, nous semblait la plus appropriée, les grosses manifestations de la région (Francopholies de La Rochelle, Festival de Saintes…) ayant lieu au mois de juillet. Il y avait là l’espace propice pour bâtir une manifestation dans l’écrin privilégié du Pays de Ravel – né à Ciboure -, tout en contribuant à faire vivre un territoire que le grand public international découvre de plus en plus.

La première version de ce festival a démarré en 2021 et, avec Bertrand Chamayou [co-directeur artistique], nous nous sommes donnés quatre ans pour installer durablement dans la vie musicale française un évènement de portée internationale, en s’appuyant sur la personnalité et l’esprit de Maurice Ravel et, plus largement, la musique française.

 

| Quelle va être la suite de l’aventure pour le Festival Ravel ?
J-F H : : L’année 2025 marquera le 150e anniversaire de la naissance de Ravel. Elle constitue l’aboutissement d’une première tranche de construction, visant à installer le Festival Ravel dans une élite internationale de festivals patronimiques. 2025 sera une forme de consécration de l’évènement. Pour un jeune festival comme celui-ci, l’enjeu est surtout de correspondre à cette époque nouvelle : une page s’est ouverte après la pandémie et il ne suffit plus de proposer un panel de grands concerts pour faire un grand festival.

« Un festival d’aujourd’hui doit aussi être audacieux, porter une vision du monde actuel, de la création musicale bien sûr mais aussi être en corrélations multiples avec d’autres expressions artistiques (plasticiens, danseurs, cinéastes…). »

La notoriété du Pays Basque s’est spectaculairement accrue au niveau international, porteuse d’un terroir très puissant, fort de ses traditions multiples. Peu à peu, le public visiteur pourra associer la découverte d’un terroir et de sa gastronomie à de grands évènements musicaux.

L’offre musicale du Festival propose en effet des évènements exceptionnels, uniques dans le Sud-Ouest Aquitain, voire sur le territoire national : orchestres ou ensembles de renommée internationale, associés à de plus petites formes (musique de chambre, récitals, chœurs, …) portés par des artistes pour la plupart désireux de découvrir le pays de l’un des plus grands artistes français. L’Académie, dans les prochaines années, représentera de plus en plus une plateforme de lancement pour les talents des nouvelles générations.

Il y a un réel enjeu aujourd’hui à défendre la création, associée de plus en plus à l’idée d’un croisement des disciplines, un croisement des arts. Un festival ne peut plus se contenter d’être « muséal » avec la reprise en boucle des grands chefs-d’œuvre du passé.

« Notre rôle plus que jamais est d’entrainer le public dans la découverte de nouvelles formes d’expression. Le risque est bien sûr présent mais l’audace fait partie intégrante du projet. »

 

| Quels sont pour vous les accomplissements de ces trois éditions du Festival Ravel ?
J-F H : La conjonction assez réussie de la venue d’emblée de grands orchestres (l’Orchestre de Paris, l’Orchestre philharmonique tchèque, l’Orchestre de l’Opéra national de Paris…) – qui ont permis de situer d’entrée de jeu le festival à un niveau qui a surpris le milieu musical -, la venue de grands compositeurs vivants (Philippe Manoury, Michael Jarrell, Helmut Lachenmann, Ramon Lazkano), la création d’une classe de composition à l’Académie, et bien sûr le souvenir marquant de quelques grands concerts de musique de chambre avec le Jerusalem Quartet ou encore le Quatuor Belcea.

 

| Pourquoi avoir fait appel à Bertrand Chamayou pour vous rejoindre à la direction artistique de ce projet ?
J-F H : Parce que c’est un grand pianiste d’aujourd’hui, reconnu entre autres pour ses interprétations de la musique de Ravel, mais aussi héritier d’une filiation directe avec le compositeur : il a en effet travaillé avec moi au Conservatoire Supérieur de Musique et de Danse de Paris, et j’ai moi-même été disciple de Vlado Perlemuter qui a beaucoup travaillé avec Ravel son œuvre pour piano.

« La transmission a toujours été au cœur de notre relation, et une collaboration puis un passage de flambeau semble aujourd’hui s’inscrire naturellement dans le projet du Festival. »

Bertrand Chamayou mène aujourd’hui une carrière internationale et incarne une réelle ouverture, entre autres à travers son réseau d’amitiés artistiques. Enfin, son attachement au Pays Basque en fait aujourd’hui l’acteur tout désigné pour insérer une manifestation en étroite corrélation avec le territoire.

 

| Y a-t-il des éléments dans la programmation de cette année qui vous tiennent à cœur, qui vous touchent particulièrement ?
J-F H : Le lien fort avec le monde espagnol en la personne du pianiste Javier Perianes, la venue exceptionnelle de l’Ensemble intercontemporain et la découverte du Pays Basque pour le compositeur Helmut Lachenmann, qui est pour moi l’une des plus grandes légendes vivantes du monde des compositeurs d’aujourd’hui.

L’évènement que constitue le déplacement de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris à l’Église de Saint-Jean-de-Luz [le 31 août] sera sans nul doute le sommet d’une programmation qui met également à l’honneur les forces vives de la Région : l’Orchestre des Champs-Elysées et l’Orchestre de Pau Pays de Béarn.

 

| Vous serez à l’affiche de trois concerts pendant le festival, pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
J-F H : Le récital avec Renaud Capuçon [le 29 août à Saint-Jean-de-Luz] va proposer un programme qui associe à Debussy et Ravel des œuvres plus rares, comme la 2e sonate d’Albert Roussel, et l’étonnante sonate de Marguerite Canal (1890 – 1978).

Le concert autour de Schumann [le 4 septembre à Hendaye] avec Jean-Frédéric Neuburger, François Salque, Félix Roth et un étudiant de l’Académie est construit dans l’esprit d’une « schubertiade », avec en point d’orgue l’Andante et Variations pour deux pianos, deux violoncelles et cor, objet unique du grand répertoire de musique de chambre.

Le récital de piano [le 7 septembre à Ascain], malgré le préambule de la Sonatine de Ravel, s’organise autour de la grande tradition allemande, avec l’un des plus grands chefs-d’œuvre de la littérature pour piano, les Davidsbündlertänze op.6 de Schumann. J’ai souhaité également faire partager ma découverte récente d’une des pièces majeures d’Helmut Lachenmann, grande œuvre pour piano solo d’aujourd’hui, la Serynade, qui nous plonge dans un univers sonore envoûtant. Je suis particulièrement touché que le compositeur, âgé aujourd’hui de 88 ans, ait accepté de nous rejoindre quelques jours au festival.

 

En postlude du festival, le dimanche 10 septembre, aura lieu l’inauguration du Pôle culturel Peyuco Duhart de Saint-Jean-de-Luz, pour laquelle j’aurai le plaisir de diriger l’Orchestre Symphonique du Pays Basque, qui propose à cette occasion une passerelle avec l’Académie Ravel en invitant une jeune soliste lauréate de l’Académie 2022, la violoniste Noemi Gasparini.

Jean-François Heisser en concert à Ascain - Festival 2022