Jonathan Biss © Benjamin Ealovega
Artistes
Programme
OUVERTURE – 19h
Clarisse Dalles, soprano
Zofia Neugebauer, flûte
Maria-Andrea Mendoza, violoncelle
Bertrand Chamayou, piano
| Christiaan Willemse (né en 1997)
Lauréat du Prix de composition de l’Académie Ravel 2023
> Création – Commande du Festival Ravel
Anders ingekleur (De couleurs différentes)
Deux chansons et un épilogue sur des poèmes d’Antjie Krog.
i-Woordeloos (Je suis sans voix)
ii-Tussen jou en my (Entre toi et moi)
Epiloog (Épilogue)
| Maurice Ravel (1875-1937)
Chansons madécasses (Poèmes d’Evariste de Parny) (1925-26)
Nahandove – Aoua – Il est doux
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RÉCITAL – 20h
Jonathan Biss, piano
| Franz Schubert (1797-1828)
Sonate n°20, D.959 (1828)
Allegro
Andantino
Scherzo : allegro vivace, Trio : un poco più lento
Rondo : allegretto presto
| Tyson Gholston Davis (né en 2000)
…Expansions of Light (2023)
| Franz Schubert, Sonate n°21, D.960 (1828)
Molto moderato
Andante sostenuto
Scherzo : allegro vivace con delicatezza
Allegro ma non troppo
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Durée de la soirée : 2h30 avec pause
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🎧 À écouter sur France Musique
| Jonathan Biss – L’invité du jour, Par Jean-Baptiste Urbain
| Le van Beethoven de Jonathan Biss
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📜 Le programme musical – Ouverture
En avril 1925, Maurice Ravel se met en quête d’un texte sur lequel il pourrait élaborer l’œuvre pour flûte, violoncelle, piano et voix que lui a commandée une mécène américaine, Elizabeth Sprague Coolidge. Le compositeur opte bientôt pour un recueil de la fin du XVIIIe siècle, les Chansons madécasses d’Évariste de Parny, poète natif de l’île Bourbon (aujourd’hui île de La Réunion) qui s’était distingué en son temps par ses prises de position contre l’esclavage. Encore aujourd’hui, l’engagement anticolonial du texte saute aux yeux, notamment dans le deuxième des trois poèmes choisis par Ravel, « Aoua » : « Méfiez-vous des blancs, habitants du rivage ». La première exécution de cette pièce lors d’un concert privé suscitera d’ailleurs quelques polémiques…
Celles-ci surprendront cependant Ravel. On peut penser que le compositeur a choisi ces textes moins pour leur sens politique que pour leur poésie singulière et leur volupté. Il faut dire que ces Chansons madécasses, contrairement à leur nom et à ce qu’Évariste de Parny a avancé dans sa préface, ne proviennent pas du tout de Madagascar mais sont de pures inventions de l’auteur. Voilà qui a pu intéresser Ravel, l’inciter à créer un nouveau monde musical de toutes pièces à un moment charnière de sa carrière et de l’histoire de la musique : c’est le premier cycle de mélodies qu’il compose depuis qu’Arnold Schönberg a fait voler en éclats la tonalité et a bouleversé le traitement de la voix dans son Pierrot lunaire.
Ravel s’en donne donc à cœur joie, profitant de l’originalité du discours pour moduler de manière imprévisible, évacuer ici la grammaire harmonique habituelle pour se reposer sur des intervalles dépouillés, superposer là deux tonalités différentes, transformer plus loin le violoncelle en instrument à percussion inclassable via un mode de jeu rare (harmoniques en pizzicati)… Quant à la volupté du texte, digne des Chansons de Bilitis de Claude Debussy, il inspire lui aussi les formes et les gestes musicaux de Ravel : l’orgasme de « Nahandove » dicte ainsi entièrement la progression dynamique et rythmique de la pièce. La voix pour sa part chante, murmure, marmonne, soupire, est poussée jusqu’au cri. Le terrible « Aoua ! » est cependant ambigu ; il n’est pas impossible que Ravel use ici de second degré tant cette exclamation ressemble au comique « Léon ! », le cri du paon dans ses Histoires naturelles. La toute fin de l’œuvre est également d’un humour très ravélien, montrant un détachement inattendu après tant de volupté explicite et de violence–; tout ceci n’était donc qu’un jeu.
L’inventivité musicale et le caractère politique des Chansons madécasses en font une partition toujours d’actualité un siècle après sa création. Une commande a été passée dans ce sens par Bertrand Chamayou et le Festival Ravel au lauréat du Prix de composition de l’Académie Ravel 2023, Christiaan Willemse. Ce jeune compositeur né en 1997 a étudié à l’université Mozarteum de Salzbourg et au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris mais il reste très attaché à son pays natal, l’Afrique du Sud. À l’heure où nous écrivons ces lignes, son œuvre n’a pas encore été écrite mais il a déjà confié qu’il envisageait de mettre en musique des extraits du recueil Kleur kom nooit alleen nie (La couleur ne vient jamais seule), écrit en 2000 par une célèbre poétesse sud-africaine, Antjie Krog. « Ce recueil est le reflet du temps qu’elle a passé en tant que journaliste au sein de la Commission de la vérité et de la réconciliation dans les années 1990, après la fin de l’apartheid. C’est une poésie très puissante et je pense qu’elle pourrait servir de prolongement aux déclarations anticoloniales des Chansons madécasses de Ravel », annonce le jeune compositeur.
📜 Le programme musical – Récital
« La musique de Schubert se réfracte avec autant de richesse et de variété que la vie et les aspirations des hommes. Ce qu’il regarde de son œil, ce qu’il touche de sa main se transforme en musique ; des pierres qu’il jette surgissent des silhouettes humaines vivantes ». Ce commentaire admiratif de Robert Schumann résonne particulièrement à l’écoute des deux dernières sonates pour piano de Franz Schubert. Au tout début de la Sonate en la majeur D.959, c’est bien une pierre que le compositeur jette avec ces accords dont on se demande bien ce qu’ils nous préparent. Il est impossible de deviner que ce qui suivra sera, sans transition, un doux arpège en cascade ; et que ce saut d’octave a priori anodin, sur les deux premières notes à la main gauche, connaîtra bien des réincarnations dans ce premier mouvement et au-delà.
Schubert est alors au crépuscule d’une vie trop courte. Mais, même gravement malade, le sent-il ? Ces dernières sonates sont-elles testamentaires, comme certains commentateurs ont pu l’écrire ? C’est impossible à affirmer, d’autant que l’hyperactivité du compositeur, auteur d’une quantité de chefs-d’œuvre à cette période, témoigne alors d’une vitalité créatrice peu commune. Ce qui saute aux yeux en revanche, c’est la façon dont Schubert déploie des mondes sonores à partir de cellules rudimentaires, de motifs d’une extrême concision, de phrases simples, sans tapage dramatique superflu, sans geste inutilement héroïque. Dans le premier mouvement de la Sonate D.959, le compositeur semble vagabonder, rêver, exposer une idée, l’interrompre, en saisir une autre, l’interroger, la développer. Tout est contrasté, imprévisible, surprenant et en même temps d’une cohésion profonde, jusqu’à la coda mystérieuse où tout s’évapore, le saut d’octave et l’arpège compris.
À l’autre bout du concert de ce soir, le finale de la Sonate D.960 semblera lui aussi chercher son chemin, le refrain joyeux étant rendu quelque peu hésitant en raison d’une note longue qui retentit comme une sonnerie de cloche avant chacune de ses occurrences. Si la conclusion semble heureuse, ce tintement reste en tête et sème comme un doute. Avant cela, le premier mouvement de cette même sonate avait lui aussi été assombri par un geste étrange – un trille grondant dans le grave du clavier.
Pour trouver une issue dans ce diptyque schubertien, il faut se pencher sur les mouvements lents. Comme dans la Sonate D.959, celui de la Sonate D.960 est un lied dépouillé, sur un accompagnement dont les notes répétées semblent compter les heures. Mais alors que le chant de la D.959 s’est fait interrompre par un des déchaînements les plus étonnants et violents de la littérature pianistique, l’Andante sostenuto de la Sonate D.960 répond à distance comme une éclaircie après l’orage, comme l’acceptation après la colère : ici, le lied s’efface derrière une partie centrale pleine d’espoir, avant de revenir pour une extraordinaire modulation en mode majeur, aux allures de transfiguration. « L’homme a franchi un seuil. Si Schubert a jamais vraiment appartenu à cette terre, à partir de cet instant, il l’a quittée », écrit Jonathan Biss.
Entre les deux sonates, le pianiste interprètera une œuvre écrite l’an dernier pour lui par un jeune compositeur américain. En contemplant le tableau abstrait Winter Light d’Helen Frankenthaler, Tyson Gholston Davis a remarqué la façon dont les motifs et les teintes semblent s’étendre, se répercuter, se transformer en entrant en contact les uns avec les autres, et a décidé d’élaborer un triptyque où il s’efforcerait de manipuler le matériau musical d’une manière comparable. Regardez la toile, ses gestes clairement identifiables, ses couleurs franches, ses zones d’ombre et la lumière qui semble naître dans un de ses angles… N’est-ce pas ainsi que Schubert composait ?
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