Tabea Zimmermann & Bertrand Chamayou © DR / Marco Borggreve
Programme
Week-end thématique « Contes Fantastiques »
| George Benjamin (né en 1960), Shadowlines (2001)
I – Cantabile
II – Wild
III – Scherzando
IV – Tempestoso
V – Very freely, solemn and spacious
VI – Gently flowing, flexible
| Maurice Ravel (1875-1937), Gaspard de la nuit (1908)
Trois poèmes en prose d’Aloysius Bertrand
Ondine – Le Gibet – Scarbo
| Robert Schumann (1810-1856), Märchenbilder, Op.113 (1851)
Nicht schnell (pas vite)
Lebhaft (vif)
Rasch (rapide)
Langsam, mit melancholischem Ansdruck (lent, avec une expression mélancolique)
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Durée du concert : 1h sans entracte.
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Restaurant partenaire :
ALAÏA
2 Allée André Hiriart, Ciboure – 05 59 47 43 79
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🎧 À écouter sur France Musique
| Tabea Zimmermann, plénitude et virtuosité – Stars du classique
| Bertrand Chamayou, de Toulouse aux grandes scènes internationales – Stars du classique
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📜 Le programme musical
« Écoute ! – Écoute ! – C’est moi, c’est Ondine qui frôle de ces gouttes d’eau les losanges sonores de ta fenêtre illuminée par les mornes rayons de la lune ». Ainsi commence la chanson d’Ondine, extraite de Gaspard de la nuit d’Aloysius Bertrand, publié à titre posthume en 1842. Bien qu’un peu kitsch pour un compositeur moderne, ce recueil de poésie romantique correspond parfaitement à l’esprit ravélien, amateur de fééries et de sortilèges qui poussent à imaginer de nouveaux mondes sonores. En 1908, Maurice Ravel choisit trois extraits du livre, décidé à en faire « trois poèmes romantiques de virtuosité transcendante ». Le dernier, « Scarbo », est celui qui fascinera le plus les auditeurs, le compositeur ayant engendré ici un monstre de technicité pianistique, croisement inimaginable du bouffon espagnol de son Alborada del gracioso, du Méphisto des valses de Franz Liszt et du vol du bourdon de Rimski-Korsakov. Il fallait bien cela pour caractériser ce gnome de cauchemar, personnage capital du recueil d’Aloysius Bertrand.
Les deux autres pièces du triptyque ne sont pas moins dignes d’intérêt : avant le mouvement perpétuel de « Scarbo », « Le Gibet » est une page effrayante d’immobilité, avec le glas de son si bémol inlassablement répété tout au long de la pièce : « c’est la cloche qui tinte aux murs d’une ville, sous l’horizon, et la carcasse d’un pendu que rougit le soleil couchant ». Première pièce de l’ensemble, « Ondine » avait les faveurs d’une Marguerite Long enthousiaste devant l’imagination rythmique du compositeur, qui parvient en effet à suggérer les coups de nageoire imprévisibles de la sirène tout en la faisant chanter tristement sur le clavier.
Si les œuvres de Liszt ont constitué une source d’inspiration évidente pour Ravel, Gaspard de la nuit est également très proche de l’art du Tondichter (poète des sons) Robert Schumann. En quête d’un « ton populaire » pour renouveler le langage musical de son temps, celui-ci compose en mars 1851 une œuvre en quatre mouvements pour alto et piano qui, malgré cette apparence, n’est pas une sonate : il s’agit d’une série de Märchenbilder, d’« images de contes de fée ». Il ne semble pas que Schumann, contrairement à Ravel, ait eu en tête des contes précis ; libre à l’auditeur d’imaginer une série de personnages ou saynètes saisies sur le vif, à la manière des poèmes d’Aloysius Bertrand. La première pièce pourrait alors évoquer la mélancolie d’une princesse dans sa tour, la deuxième une scène de chasse, la troisième une chevauchée infernale et la dernière une barque filant lentement sur un lac…
Grand admirateur de la musique de Ravel et notamment de son écriture pianistique, George Benjamin se situe dans la lignée directe du compositeur de Gaspard de la nuit pour le soin qu’il apporte à la progression mélodico-harmonique de ses œuvres, et pour sa capacité à faire sonner l’instrument d’une façon colorée et poétique. Leur proximité à travers les âges est manifeste dans Shadowlines, écrit en 2001. De même que le terme de « virtuosité transcendante » utilisé par Ravel cachait une inventivité poétique et sonore d’une grande profondeur, Benjamin présente modestement son ouvrage comme une « série de pièces, chacune un canon d’un genre différent ». De fait, le procédé du canon est bien présent, de même que la troisième section est bien un « scherzo miniature » et que l’avant-dernière partie de l’ouvrage s’appuie sur « une lente basse continue » impalpable, dans l’extrême grave. Mais ces termes techniques utilisés par le compositeur ne rendent pas compte des mondes que Benjamin crée sur le clavier, en démultipliant les plans sonores, en créant des contrastes puissants de registre, d’intensité, de gestes pianistiques. En écoutant Shadowlines, on peut entendre les héritiers d’Ondine et de Scarbo se poursuivre sur le clavier, et les voir s’évanouir dans un épilogue aussi doux que mystérieux.